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Alzheimer Tunisie a été fondée le 13 Mars 2006 (JORT N°24 du Vendredi 24/03/2006

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mercredi 9 mars 2011

Alzheimer, l’autrefléau de Medellín

Par MICHEL TAILLE Envoyé spécial à Copacabana

GRAND ANGLE-En Colombie, une famille est atteinte, depuis des générations, de la maladie dégénérative. Les chercheurs, qui ont repéré le gène défaillant, tentent d’élaborer un vaccin.

Il y a encore vingt secondes, elle souriait, assise sur le canapé de sa maison, en agitant deux jouets d’enfant dans ses mains nerveuses. Des visages familiers répondaient à ses sourires. Mais ils se sont détournés, emportés par leur conversation lointaine, et échangent maintenant entre eux des mots graves qui résonnent dans la pièce aux murs nus, au plafond bas. «Pas de guérison possible. Sa mère en est déjà morte, son frère est malade. Demain, les enfants peut-être ?» Un tremblement s’empare de son menton. Elle bafouille quelques mots sans logique d’un filet de voix taraudé par l’angoisse. Près d’elle, une jeune femme, sa fille, la rassure en lui caressant le visage. De l’autre côté, une enfant vient s’agripper à son cou. «Il ne faut pas pleurer, Mamie !» Luz Yolanda la regarde sans avoir l’air de comprendre. A 49 ans, cette Colombienne souffre d’Alzheimer depuis dix ans. Au début, ses proches ont été alertés par ses petits oublis, par la succession d’objets qu’elle disait soudain introuvables dans leur maison de Copacabana, à une demi-heure de route de Medellín. Ils ont reconnu la maladie dégénérative qui décime leur famille. Un mal incurable, qui les accable depuis des générations, mais qu’ils pourraient paradoxalement aider à soigner.

Perte du langage et prostration

Face à Luz Yolanda, son oncle Hector, à peine plus âgé, fait le compte sans sourciller : outre sa propre mère, cinq de ses onze frères et sœurs ont été frappés, plusieurs de ses neveux, des cousins. En novembre 2010, raconte cet ancien pharmacien, son frère cadet Arnulfo mourait chez lui après seize ans de maladie. «Nous nous en sortons mieux maintenant, avoue-t-il. A un moment, nous avons dû nous occuper de quatre patients à la fois ! C’est épuisant.» A ses côtés, le frère de Luz Yolanda, plus modérément affecté, répète des mots de bienvenue en souriant avec bonhomie. Mais tous savent que son état ne peut que décliner, jusqu’à la perte du langage et la prostration dans un lit.

La famille est issue d’Angostura, un village colombien de l’Antioquia, la région dont Medellín est la capitale. C’est dans ce secteur des Andes qu’a été identifiée, dans plusieurs bourgs, une déformation génétique qui frappe 25 branches familiales comme celle d’Hector. Cette mutation, localisée sur un gène du chromosome 14, est «autosomique dominante» : «Chaque enfant d’un porteur a 50% de chances de l’avoir à son tour, et tous les porteurs sont condamnés à développer la maladie», explique Francisco Lopera, coordinateur de l’équipe de Neurosciences de l’université d’Antioquia, à l’origine de la découverte.

Une situation exceptionnelle : l’immense majorité des cas d’Alzheimer dans le monde apparaît de façon «sporadique» : sans incidence héréditaire démontrée. L’anomalie, vulgarisée sous l’appellation de «mutación paisa», du nom donné aux habitants, entraîne une autre malédiction. Elle affecte les patients dès 44 ans en moyenne - contre 65 ans pour la forme traditionnelle. Hector s’inquiète même de voir ses proches atteints de plus en plus jeunes : une de ses sœurs à 34 ans, des neveux à 35 ans. Lui-même, à 61 ans, pense s’en être tiré : la maladie, s’il était porteur, aurait déjà dû se déclarer.

Le docteur Lopera a soupçonné le premier l’existence d’une mutation. Alors qu’il était jeune neurologue, il a reçu un patient de 47 ans déjà affecté, avec plusieurs parents morts du même mal. Entamées en 1995, les recherches ont permis depuis d’identifier le gène fautif et de recenser les familles affectées, toutes issues d’un tronc commun. En épluchant actes de baptême et archives notariales, les chercheurs sont remontés jusqu’à un couple «originel» d’Espagnols, qui aurait amené et dispersé la mutation vers 1750. Elle est restée depuis concentrée dans la zone - même si des émigrants l’ont aujourd’hui portée jusqu’au Canada - à cause de la colonisation bien particulière de la région.

Les Indiens ont été presque tous exterminés lors de la Conquête, et l’endroit a été repeuplé quasiment sans métissage par des Européens. Ces défricheurs, isolés des hameaux les plus proches par des heures de mule à flanc de la cordillère des Andes, ont vécu entre eux. Il est commun de trouver, autour d’Angostura ou près du village voisin de Yarumal, des mariages entre cousins ayant donné naissance à des fratries de dix ou douze enfants.

Un test de vaccin suspendu

Cette concentration unique a permis d’attirer l’attention de chercheurs du monde entier qui collaborent avec l’université d’Antioquia : le centre de neurosciences de Cuba, les universités de Boston et Hambourg, des groupes français et espagnol… Par des examens de sang, l’université a pu identifier 500 porteurs de la mutation génétique, sains et malades. Ceux d’entre eux qui ne présentent encore aucun symptôme sont une population «idéale» pour tester un soin préventif d’Alzheimer, le plus crédible aux yeux de Francisco Lopera. «Les essais de thérapies pour guérir les personnes déjà affectées ont un taux d’échec très élevé», rappelle-t-il. Sa cohorte de patients potentiels attend fébrilement l’heure des essais.

«Je ferai tout ce que l’équipe de l’université me demande», jure Alejandra, la fille de Luz Yolanda. A 20 ans, dont déjà plusieurs années à s’occuper de ses parents malades, elle a «très envie de pouvoir étudier» un jour. Elle ignore si elle porte la mutation : l’université, en accord avec les patients, n’informe pas ceux chez qui elle a trouvé le gène déficient. «A quoi cela me servirait ?, poursuit-elle en serrant la main de sa mère. Je sombrerais dans la psychose, et peut-être même que je développerais plus vite la maladie.»

Alejandra est un peu déçue : les essais cliniques, qui devaient débuter cette année, ne commenceront que l’an prochain. Francisco Lopera, qui veut un produit «très sûr et efficace» pour ses patients, craint les antécédents. En 2001, un test de vaccin a été suspendu après avoir causé plusieurs encéphalites. Le docteur au regard perçant et à la chevelure léonine ne veut pas de ça pour ses patients.

«Il s’occupe de nous sans repos», souligne Gloria Piedrahita, infirmière et jeune retraitée de Yarumal. Dans la maison qu’elle partage avec sa mère, elle-même se charge avec énergie d’un frère et d’une sœur prostrés sur leur fauteuil. Elle les change de côté toutes les deux heures pour éviter les escarres, leur parle tendrement et époussette les photos qui, au mur, rappellent la moue moqueuse et le regard déterminé de sa sœur aînée avant la maladie. «J’aurais aimé que le médicament soit prêt à temps pour lui», regrette-t-elle en montrant un plus jeune frère, déjà atteint, qui passe et repasse dans la pièce en faisant coulisser mécaniquement une bague sur son annulaire.

L’urgence d’un remède sûr

Pour les essais, l’équipe étudie l’utilisation d’un vaccin qui inhibe le développement des bêta-amyloïdes, des fragments de protéines qui participent à la mort des neurones en les couvrant de plaques, jusqu’à faire perdre au cerveau un tiers de son poids. Aucun résultat définitif ne sera connu avant 2015, prévient le docteur Lopera, «et ce pourra être un échec». Mais toute réussite ouvrirait un immense espoir pour freiner l’expansion de la maladie dans le monde. Avec le vieillissement de la population, les 35,6 millions de personnes qui souffrent de démence - mal dont l’Alzheimer est la première cause - pourraient être trois fois plus nombreux en 2050. Et les pays en voie de développement hébergeront alors sept malades sur dix. D’où l’urgence d’un remède sûr et, si possible, bon marché. Comme partout, le docteur Lopera ne peut donner aux patients diagnostiqués que des médicaments qui ralentissent la progression du mal, ou le soulagent : des pilules contre la dépression, contre les convulsions qui accélèrent la mort des neurones.

C’est déjà un progrès immense. Il y a encore vingt ans, personne dans les campagnes ne savait vraiment d’où venait la maladie. «On appelait juste ça la niaiserie», se rappelle Gloria, qui a grandi dans une ferme. Les paysans comprenaient bien qu’il y avait là une histoire d’hérédité, mais ils y mêlaient une multitude de croyances : un prêtre ou un ennemi avait jeté une malédiction à la famille, le malade avait frôlé un arbre mystérieux, bu à une source empoisonnée, touché un autre patient... «J’ai recensé au moins 80 mythes de ce genre», rapporte Lucía Madrigal, psychologue originaire de Yarumal. Les soins étaient au niveau de ces superstitions. Gloria se rappelle du désespoir de sa grand-mère, enfermée dans une pièce, d’une cousine abandonnée dans une écurie et nourrie par des voisins. «Avant l’arrivée du docteur Lopera, les malades mouraient d’escarres ou de dénutrition au bout de cinq ans, par ignorance», complète Evelio Lopez, médecin à l’hôpital de Yarumal. Mais désormais, assure-t-il, les journées de formation aux soins de l’université font salle comble dans le village. Dans le cabinet de Lopera, Beatriz patiente pour obtenir des médicaments. En octobre, elle et ses proches ont participé aux batteries de tests auxquels le professeur soumet quelque 2 000 membres des familles affectées, qu’ils soient ou non touchés par la mutation. Les enchaînements de mots à mémoriser - «cabane - plage - reine - billets», les dessins à reproduire accompagnés de questions simples, qui lui semblaient autant d’exercices amusants, ont trahi les premiers symptômes de maladie chez sa mère. «Je me sens plus bête», répète celle-ci à sa fille. Beatriz tente de lui remonter le moral, mais n’est guère surprise : «Dans nos familles, il faut se préparer à tout», commente-t-elle sobrement.

La soirée est maintenant bien avancée à Yarumal, et la brume des montagnes a rafraîchi la température. Dans la maison de Gloria, le frère cadet regarde le journal en tournant sa bague sans fin. Dans l’une des chambres, comme tous les soirs, l’infirmière prie à haute voix auprès de l’aînée, chapelet en main. Gloria sourit, l’embrasse. Ses neveux, elle en est convaincue, échapperont à tout ça.
source: www.liberation.fr

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